Ressource — Qu’est-ce que l’argumentation ?
Il s’agit dans cette ressource d’arriver à une définition de l’argumentation qui prenne en compte à la fois ce qu’en dit la tradition mais surtout les apports plus récents dans ce domaine. Nous resterons bien sûr dans le cadre de l’argumentation professionnelle. L’objectif de cours étant de développer vos compétences argumentatives dans les domaines de l’éducation et de l’enseignement, il nous faut prendre le temps de définir ce que signifie argumenter.
Argumenter est une compétence
Définition de compétence
« Une compétence est l’aptitude à mobiliser ses ressources (connaissances, capacités, attitudes) pour accomplir une tâche ou faire face à une situation complexe ou inédite. »
Bulletin officiel n° 17 du 23 avril 2015
Comment prouver qu’argumenter est bien une compétence ?
Découpons la compétence argumenter (dans le domaine professionnel de l’enseignement et de l’éducation) :
- Savoir argumenter nécessite des capacités (ou « savoir-faire ») :
- décrire
- comparer
- classer / trier
- évaluer
- Savoir argumenter nécessite des connaissances :
- méthodologiques, épistémiques, pédagogiques
- en sciences cognitives (on est moins logique que ce que l’on croit, il faut connaitre les biais cognitifs)
- disciplinaires (savoir de quoi on parle)
- Savoir argumenter nécessite des attitudes (ou « savoir-être ») :
- garder un esprit critique
- faire preuve de souplesse d’esprit et d’empathie
Définition rhétorique traditionnelle de l’argumentation
Traditionnellement, on définit l’argumentation comme l’élaboration des preuves du discours, que l’on dispose de manière cohérente pour persuader autrui. On oppose dans ce cadre la dialectique (qui est du domaine de la « logique ») et l’argumentation : la dialectique s’intéresse au vrai alors que l’argumentation s’intéresse au vraisemblable.
L’argumentation met en œuvre plusieurs moyens :
- elle élabore des preuves dans la doxa, dans les croyances et valeurs partagées
- elle doit s’adapter à son public (on parle de décorum)
- elle doit séduire par trois constituants interdépendants :
- l’éthos de l’« orateur » : c’est l’image qu’il construit de lui-même dans son discours
- le pathos : c’est la charge émotionnelle du discours
- une disposition respectant le logos : elle imite la logique, mais n’est pas logique (ce serait alors de la dialectique) : elle a donc recours à des connecteurs et opérateurs argumentatifs (qu’il convient de ne pas nommer « connecteurs logiques »)
Pourquoi argumenter ?
Actuellement, on considère qu’argumenter remplit plusieurs fonctions.
- Fonction cognitive : argumenter permet de verbaliser ses opinions, de conscientiser les discours et les contre-discours. Argumenter permet l’exploration heuristique d’un sujet.
- Fonction identitaire : argumenter permet d’éclairer le jeu des connivences et des désaccords entre les interlocuteurs. De quel côté sommes-nous ? Avec qui partageons-nous de mêmes opinions ? Qui sont nos alliés ou nos adversaires. Argumenter permet de mieux se connaitre en déterminant les groupes auxquels on s’identifie.
- Fonction persuasive : argumenter permet de faire adhérer autrui (ou soi-même) à une thèse, de faire naitre une opinion sur un thème, de créer des convergences de discours en arrivant à des accords et en mettant en retrait les divergences.
- Fonction langagière : argumenter est une fonction essentielle du langage. L’argumentation suppose la notion de désaccord. En effet, on ne peut pas argumenter tant que n’existe pas :
- une divergence d’opinion sur un sujet
- un problème constitué par cette divergence. Par exemple, l’opposition simple des points de vue n’est pas argumentative (« Moi, j’aime bien la plage de Sakouli. — Moi pas. » : ce n’est pas une situation argumentative). Il faut des points de vue construits et étayés
On n’argumente donc pas seulement pour en savoir plus sur le monde, pour mieux se connaitre ou pour persuader autrui, mais aussi, et surtout, parce que la situation argumentative est propre à la communication. Nous passons notre temps à argumenter et cela peut être source de plaisir ou de violence (le plus souvent symbolique). Le nœud de l’argumentation est donc l’opposition des discours avec des contre-discours (explicites ou implicites) dans le but de construire des discours plus résistants à la confrontation.
En sorte, nous argumentons aussi (et surtout ?) pour renforcer face à nous-mêmes et face à autrui nos propres points de vue. Voilà pourquoi il convient de connaitre les biais cognitifs et les erreurs générales de raisonnement, pour être sûr·e de ne pas renforcer des points de vue qui seraient erronés.
C’est ce à quoi nous allons nous intéresser dans la ressource suivante.
Pour aller plus loin : Marianne Doury, Argumentation, Armand Colin, 2016