Ressource — Comment donner du sens aux apprentissages ?
L’enseignant·e est souvent confronté·e à des questions montrant que les apprenants ne comprennent pas les raisons d’êtres des apprentissages. Des phrases comme « Je ne sais pas ce qu’il faut faire » ou « Pourquoi on apprend ça ? » ou encore « Ça sert à quoi, de faire de la grammaire ? » en sont l’indice le plus prégnant.
Dans le cadre de l’enseignement en règle générale, et tout particulièrement du français, un concept est à favoriser pour donner du sens et répondre à ces questions : l’enseignement par compétences. On enseigner (et on évalue) par compétences pour expliciter les apprentissages. Cela requiert donc de faire travailler les apprenant·s sur des tâches complexes, pour les impliquer et développer leur motivation.
Enseigner des compétences
Les compétences scolaires (notamment en français) peuvent être découpées ainsi :
- connaissances à acquérir : connaissances disciplinaires (ce qu’on apprend au cours de français : terminologie grammaticale, définitions, éléments culturels…), littératie scolaire…
- capacités à maitriser : savoir trier, hiérarchiser, ordonner, relier…
- attitudes à développer : développer son exigence intellectuelle (quand je rédige, je dois m’adresser à un destinataire intelligent mais « ignorant »), développer ses compétences psychosociales…
Pourquoi enseigner par compétences ?
L’enseignement par compétences repose sur la réalisation de tâches complexes nouvelles et s’oppose à l’enseignement de tâches simples déjà connues ou de pures connaissances.
L’enseignement par compétences vise à rendre l’élève capable de transférer ses compétences vers d’autres situations et de réitérer sa performance dans des situations inédites. Du reste, tous les examens auxquels prépare l’enseignant·e de lettres (brevet, épreuves anticipées de français) sont des tâches complexes. En sorte, accumuler des connaissances ne permet pas de réussir ces examens car cela ne recouvre qu’une partie des aptitudes intellectuelles sollicitées.
Les raisons de l’enseignement par compétences est résumé ainsi par Roger-François Gauthier (ancien inspecteur général, expert international en éducation) dans l’article « Programmes scolaires : “Plaidoyer pour un gros mot : curriculum !” », paru dans Le Monde le 11-02-20 :
« [U]ne école qui expos[erait] son projet de façon concrète en termes d’apprentissages des élèves répondrait clairement à la question que ceux-ci posent sans cesse : “À quoi ça sert ce qu’on apprend ?” Les élèves demandent plus que jamais que les enseignements qu’ils reçoivent fassent sens. Leur motivation ne va plus de soi comme c’était le cas avant. Ils demandent de comprendre. Or ce sens ne peut pas être seulement celui de la leçon du jour, ni du prochain contrôle à réussir, ou de la moyenne à dépasser, il doit s’étendre à une exigence et une explication quant à la structuration d’ensemble de leurs études, qui visent ou devraient viser à les aider à se repérer mieux dans les complexités du monde. »
Compétences travaillées au collège
Depuis la réforme du collège de 2015 (Bulletin officiel de l’Éducation nationale du 23-04-15), les enseignements de l’école au collège s’articulent autour d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, qui fixe les compétences que tout élève quittant le collège doit avoir acquises, classées par domaines :
- Les langages pour communiquer et pour penser (langue française, langues étrangères et régionales, langages mathématiques, scientifiques et informatiques)
- Les méthodes et outils pour apprendre
- La formation de la personne et du citoyen
- Les systèmes naturels et les systèmes techniques
- Les représentations du monde et de l’activité humaine
On notera le fait que les domaines en question ne sont pas seulement disciplinaires : l’insistance est faite sur la métacognition (domaine 2) et sur le développement des compétences psychosociales (domaine 3).
Chaque enseignement (équivalent ici à peu de choses près de discipline) se doit d’inscrire ses apprentissages dans ce cadre. Par exemple, pour le français, les compétences travaillées sont présentées sous la forme suivante dans les programmes : elles sont classées par « familles » de compétences et chaque famille est liée à un domaine du socle.
Compétences travaillées en français pour le cycle 4 (5e, 4e, 3e) précisées par le Bulletin officiel no 30 du 26-7-2018 et domaines du socle concernés
Comprendre et s’exprimer à l’oral (domaines du socle : 1, 2, 3)
-
- comprendre et interpréter des messages et des discours oraux complexes ;
- s’exprimer de façon maitrisée en s’adressant à un auditoire ;
- participer de façon constructive à des échanges oraux ;
- exploiter les ressources expressives et créatives de la parole.
Lire (domaines du socle : 1, 5)
-
- contrôler sa compréhension, devenir un lecteur autonome ;
- lire des textes non littéraires, des images et des documents composites (y compris numériques) ;
- lire des œuvres littéraires et fréquenter des œuvres d’art ;
- élaborer une interprétation de textes littéraires.
Écrire (domaine du socle : 1)
-
- exploiter les principales fonctions de l’écrit ;
- adopter des stratégies et des procédures d’écriture efficaces ;
- exploiter des lectures pour enrichir son écrit ;
- passer du recours intuitif à l’argumentation à un usage plus maitrisé.
Comprendre le fonctionnement de la langue (domaines du socle : 1, 2)
-
- connaitre les différences entre l’oral et l’écrit ;
- analyser le fonctionnement de la phrase simple et de la phrase complexe ;
- consolider l’orthographe lexicale et grammaticale ;
- enrichir et structurer le lexique ;
- construire les notions permettant l’analyse et l’élaboration des textes et des discours.
Acquérir des éléments de culture littéraire et artistique (domaines du socle : 1, 5)
-
- mobiliser des références culturelles pour interpréter les textes et les créations artistiques et littéraires et pour enrichir son expression personnelle ;
- établir des liens entre des créations littéraires et artistiques issues de cultures et d’époques diverses.
Cette manière de découper les compétences et de les relier au socle n’est cependant pas la seule possible. Les enseignant·es peuvent tout à fait appuyer leurs enseignements sur d’autres référentiels de compétences, tant qu’ils respectent les compétences du socle commun. Vous trouverez dans la ressource Exemple de référentiel de compétences une autre manière de concevoir l’enseignement des compétences travaillées en français.
Comment faire travailler des compétences efficacement ?
Pour amener les élèves à travailler des compétences, il est d’abord nécessaire de leur proposer des tâches complexes. Cet aspect sera soulevé dans la séance suivante, avec des exemples précis concernant l’enseignement de la lecture-compréhension. Ensuite, il faut définir des objectifs, qui suivent les critères suivants :
- Des objectifs précis et sans ambiguïté :
- peu précis : « utiliser ses connaissances pour corriger les erreurs de son texte » → plus précis : « corriger les GN sur un corpus donné »
- Des objectifs concrets :
- peu concret : « écouter en classe » → plus concret : « je suis capable de reformuler la dernière consigne donnée par l’enseignant·e »
- Des objectifs appropriés mais ambitieux :
- peu ambitieux : « lire un livre tout·e seul·e » : plus ambitieux → « lire seul·e deux chapitres de l’Odyssée à l’aide des stratégies de lecture développées en classe »
En sorte, pour une activité en classe, on définit un ou deux objectifs au maximum. La réussite d’une tâche complexe doit être définie par quatre ou cinq objectifs maximum.
Conséquences sur l’évaluation
Évaluer, ce n’est pas seulement noter. Pour que l’évaluation ait un sens, il faut :
- qu’elle ne soit pas une sanction : l’évaluation ne doit pas servir à punir mais avoir du sens pour l’élève. Supprimer des points pour un retard ou une copie mal présentée ne lui permet pas de savoir ce qu’il a réussi ou non. Il est dans ce cas préférable d’évaluer séparément le respect des règles (formation de la personne et du citoyen) et la réussite ou non de la tâche
- qu’elle soit formatrice : l’élève doit pouvoir apprendre de ses erreurs
- qu’elle fasse vraiment partie du processus d’apprentissage : l’évaluation vérifie la maitrise ou non de compétences ; celle-ci peu prendre du temps. Il est préférable, et plus pertinent, d’évaluer régulièrement pour constater d’éventuels progrès
- qu’elle évalue ce qui a été enseigné : l’évaluation doit être ciblée
- que l’élève sache sur quoi il va être évalué : on peut par exemple évaluer par contrat de confiance, ce que je fais régulièrement en classe. Je distribue l’évaluation à l’avance pour que les élèves la préparent. Ils/elles peuvent d’ailleurs me poser des questions avant qu’elle ne se déroule et me demander de revenir sur tel ou tel point
- qu’elle permette de vérifier l’acquisition de compétences : la note globale ou la moyenne, par exemple, ne le permettent pas. Sur la copie, la maitrise ou non de compétences précises doit être signalée, et non seulement une note sur 20
Plusieurs de ces raisons expliquent que de nombreux enseignant·e (dont je fais partie) et de plus en plus d’établissements scolaires entiers n’évaluent plus par note chiffrée mais avec le système suivant (officiel dans le cadre de l’évaluation de la maitrise du socle commun). Chaque compétence est évaluée ainsi :
- maitrise insuffisante : l’élève ne sait pas accomplir la tâche (dans mes cours : moins de 30% des critères atteints)
- maitrise fragile : l’élève ne sait pas accomplir la tâche avec un degré de maitrise montrant qu’il se l’est appropriée (entre 30% et 70% des critères atteints)
- maitrise satisfaisante : l’élève sait faire, même s’il commet quelques erreurs (plus de 70% de critères atteints). C’est le niveau à atteindre
- très bonne maitrise : l’élève dépasse les attentes pour un enfant de cet âge. Ce n’est pas un objectif pour les élèves mais un constat permettant de reconnaitre les compétences de celles et ceux qui dépassent les attentes
Rappelons qu’en France il n’est pas obligatoire pour les enseignants de donner des notes chiffrées, sauf pour les classes à examen dont une partie de l’évaluation repose sur le contrôle continu.
Pour conclure sur l’évaluation, voici une petite vidéo qui montre les limites de la note chiffrée :
no 30 du 26-7-2018