Ressource — Problématiser ses séquences et ses séances
L’enseignement du français repose sur la notion de séquence pédagogique, c’est-à-dire un ensemble de séances liées les unes aux autres et permettant de faire travailler telle ou telle compétence aux élèves. Souvent, les élèves ne cernent pas l’unité, la cohérence, de la séquence : les séances s’enchainent sans qu’ils sentent autre chose qu’une suite d’activités détachées les unes des autres, tout au plus reliées par une thématique.
Or, c’est en construisant ses séquences autour de problématiques littéraires et anthropologiques que l’enseignant·e de lettres peut rendre claire l’unité et la structure de l’ensemble et permettre aux élèves de ne pas perdre de vue les objectifs à atteindre. Les programmes de l’École et du collège, depuis la réforme de 2015, précisent d’ailleurs que c’est ainsi qu’il faut faire travailler les élèves.
Nous allons nous attacher dans cette ressource à dégager les enjeux de la problématisation des séquences et des séances.
Note — Une grande partie des ressources présentées ici provient du travail de ma collègue, I. Callizot.
Définir ce qu’est une problématique littéraire et anthropologique
Débutons par cette ressource pédagogique sur la problématique de séquence :
« Il ne faut pas hésiter à formuler explicitement la problématique de la séquence puisqu’elle permet d’articuler les éléments du corpus (les textes, les images fixes ou mobiles, les extraits audio, etc.). Chaque séance sera donc une étape qui permettra d’aller vers la réponse à la problématique, un maillon de la chaine du raisonnement qui apportera la réponse à la question posée par la séquence ou permettra d’en explorer les possibilités.
« La problématique doit bien sûr et d’abord être littéraire. Pour autant, des problématiques comme “Quelles sont les caractéristiques du roman réaliste / de la poésie lyrique / du récit fantastique ?” ou “Qu’est-ce qu’un héros tragique / le théâtre classique / une satire ?” ne me semblent pas être des problématiques littéraires. En effet, en partant d’une question fermée qui induit une réponse sous forme de liste, la séquence risque de se résumer à un catalogue de procédés et de figures dont les textes ne seront plus que les “supports” d’étude. Ne risque-t-on pas alors d’oublier la spécificité des textes ? Leur littérarité aussi, au profit d’un empilement de savoirs qui, s’il est rassurant pour les élèves et les professeurs, n’est certainement pas gage de réflexion, d’investissement intellectuel et d’investigation de la part des élèves. Il ne s’agit alors pas de tomber dans des problématiques technicistes, sans grand intérêt littéraire. Nous ne voulons pas faire des élèves des spécialistes du réalisme ou du romantisme, de la farce ou du théâtre classique, mais des êtres capables de réfléchir, de se poser des questions et de chercher à y répondre.
« Mais comment un problème conçu par l’enseignant peut-il devenir le problème des élèves ? Comment la problématique de l’enseignant rejoint-elle une question que se posent — que pourraient se poser — les élèves ? Les enfants sont curieux. Encore faut-il susciter cette curiosité. Ainsi, la problématique doit leur être posée comme une énigme à résoudre, comme un sujet de réflexion qui sera égrené tout le long de la séquence, au travers de situations stimulant leur inventivité et soumettant leur pensée à un travail rigoureux. Nous pourrions alors dire que la problématique doit être à la fois littéraire et anthropologique, c’est-à-dire qu’elle doit accorder à l’élève une vraie place, celle d’un sujet réflexif. Ce n’est qu’à cette condition que la séquence pourra susciter l’adhésion des élèves. Il s’agit donc de rattacher la séquence à un questionnement qui fait sens, à une interrogation qui en définitive effleure la raison pour laquelle tel sujet, tel texte est encore étudié aujourd’hui en cela qu’il pose (ou répond à) une question existentielle, fondamentale pour l’homme. En effet, un texte n’a-t-il pas pour fonction de fixer dans la mémoire des hommes les savoirs, les concepts, les visions du monde, les mythes qui permettent aux hommes de se reconnaitre entre eux et en eux ? »
Source : Isabelle Callizot, Problématiser une séquence, documentation de l’académie de Montpellier, 2016
Synthèse
Problématiser ses séquences et ses séances nécessite donc de se poser deux questions : pourquoi le faire, et comment ?
- Pourquoi ?
- Problématiser c’est éviter l’exhaustivité
- Problématiser c’est créer un espace de recherche qui permette aux élèves de pouvoir penser
- Problématiser c’est donner du sens, du lien à chaque lecture et activité de la séquence, c’est renforcer le tissage
- Comment ? En se posant les questions suivantes :
- Pourquoi ai-je choisi cette œuvre ou ce groupement de textes ? Quel est mon projet ? → quelle sera ma problématique ?
- À la fin de cette étude, qu’est- ce que je souhaiterais que les élèves sachent/sachent faire ? → quels sont les objectifs ?
- Quelles compétences vais-je viser ? → quelles sont les compétences du programme à faire travailler ?
Sur quoi appuyer ses problématiques ?
Les programmes de l’école (cycle 3 : CM1, CM3) et du collège (cycle 3 : 6e, et cycle 4 : 5e, 4e, 3e) définissent des enjeux littéraires et de formation personnelle à faire travailler aux élèves dans le cours de français. Ce sont ceux à partir desquels l’enseignant·e bâtira ses problématiques. On peut les considérer comme des « programmes de lecture ». Noter que dans leur dénomination même, ces enjeux se présentent sous une facette anthropologique : ils servent à la formation de la personne en ce qu’ils proposent des approches liées aux grandes questions que se pose l’être humain.
Au lycée, ce sont les objets d’étude qui rempliront cette fonction.
Voici des exemples d’enjeux littéraires et de formation personnelle de cycle 4 en 5e (pour la liste complète, consulter les programmes de collège, dans les annexes du cours) adossés à des problématiques possibles. Dans les programmes, les enjeux sont classés par entrées :
- entrée 1 — Se chercher, se construire. Enjeu : « Le voyage et l’aventure : pourquoi aller vers l’inconnu ? »
- exemples de problématiques : Pourquoi vouloir aller vers l’inconnu ?, Pourquoi rêver d’ailleurs ?, Pourquoi partir ?, Pourquoi tout quitter / tout risquer ?
- entrée 2 — Vivre en société, participer à la société. Enjeu : « Avec autrui : famille, amis, réseaux »
- exemples de problématiques : Comment vivre avec les autres ?, Comment et pourquoi accepter l’autre ?, Comment vivre sinon dans l’Autre au fil de l’Autre ?, « L’Enfer c’est les autres » ?, L’Autre est-il différent de moi ?
- entrée 3 — Regarder le monde, inventer des mondes. Enjeu : « Imaginer des univers nouveaux »
- exemples de problématiques : Pourquoi inventer des mondes nouveaux ?, Les mondes inventés pourraient-ils exister ?, Les mondes inventés représentent-ils un danger ?, Comment fabriquer des mondes nouveaux ?
- entrée 4 — Agir sur le monde. Enjeu : « Héros / héroïnes et héroïsmes »
- exemples de problématiques : Le héros antique est-il un super héros ?, Le héros a-t-il toujours un comportement héroïque ?, Comment fabrique-t-on un héros ?, Pourquoi a-t-on besoin de héros ?, Pourquoi admire-t-on les héros ?
- questionnement complémentaire — « L’être humain est-il maitre de la nature ? »
- exemples de problématiques : L’homme peut-il maîtriser la nature ?, L’homme et la nature peuvent-ils cohabiter ?, L’homme et la nature, un combat de titan ?